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"Les évadés du bocal"
8 février 2011

La naissance d’un collectif, par Loriane


La naissance d’un collectif, par Loriane Brunessaux.

 

Lorsque je repense à tout ce qui s’est passé depuis Septembre, j’identifie plusieurs moments décisifs qui ont fait exister ce festival.


Le premier, c'est ma rencontre avec Hossein Sadeghi, propriétaire du lieu-dit, le mardi 28 Septembre 2010. Emilie Abed (psychologue avec qui je travaille dans un centre médico-psychologique) me l'avait présenté car je cherchais un endroit pour une soirée de l’association dont je suis présidente, Utopsy, afin de diffuser un film sur le dernier spectacle de Patrick Franquet (comédien et psychiatre, directeur du théâtre du reflet): "le malade de son imaginaire malade". Le lieu-dit était idéal.
On a discuté avec Hossein, notamment je lui ai parlé du contexte politique, du projet de réforme de la loi de 1990 sur les hospitalisations psychiatriques sous contrainte, du paradigme de la « Santé mentale », de la psychothérapie institutionnelle et du collectif... Et il nous a proposé à Emilie et moi de mettre à notre disposition son bar-restaurant pour un mois entier, en février ou Mars, avec la possibilité de mettre en place une exposition, des débats, des projections de film, des concerts… Avec sa carte blanche.
C'était parti...

Ensuite, j'ai commencé à envoyer des mails sur la liste du « collectif des 39 », dont je fais partie, et les propositions d'œuvres à exposer ont commencé à affluer. Les idées fusaient, de films, d'artistes à me présenter, etc.
J'en ai parlé à Boris Mandalka, collègue et ami (je suis psychiatre), tout de suite intéressé pour participer à l’aventure.

Trois jours après, le vendredi 1er Octobre, je me suis rendue à l'Assemblée Générale du Théâtre du reflet avec Patrick Franquet qui se tenait au « Café Curieux » à Morsang-sur-Orge, un café tenu par des « soignés » et des « soignants ». J'y ai retrouvé Marine Pennaforte, comédienne avec qui j'avais déjà eu l'occasion de travailler, que je n'avais pas vue depuis presque deux ans, et j’y ai rencontré Frédéric Gramazio, le président de l'association "les Temps Mêlés" (club thérapeutique lié à un secteur psychiatrique) qui ferait plus tard partie intégrante du festival. J’ai parlé de la proposition de Hossein au Lieu-dit qui a provoqué tout de suite un grand enthousiasme. Je suis repartie avec Marine et nos idées foisonnaient.

Troisième moment décisif, trois jours après, le lundi 4 Octobre: c'était la rencontre du collectif des 39 à l’Assemblée Nationale, intitulée "Continuité des soins ou continuité de la contrainte ?" sur la réforme de la loi de 1990 annoncée par le gouvernement. J’étais censée co-animer le débat. À la fin de la rencontre, un jeune homme se mit à parler, puis un autre. Ils étaient artistes, ils parlaient de la psychothérapie institutionnelle, ils offraient leur aide. J'ai évoqué immédiatement la proposition de Hossein Sadeghi. Je suis allée les voir à la fin du débat et c'est ainsi que j’ai rencontré Louis Neuville et Ulysse Bordarias du collectif Pounchd, un collectif d’artistes. Charlotte Hess et Valentin Schaepelinck étaient là aussi pour leur émission « Zones d'attraction » sur Radio Libertaire, intéressés par le projet au Lieu-dit et par l'idée d'actions dans la cité.

La première réunion chez Mathieu Bellahsen (psychiatre, vice-président d’Utopsy) et moi pour le lieu-dit s’est tenue le samedi 6 Novembre. Pendant tout le mois, j’avais reçu des dizaines et des dizaines de mails, surtout des gens du collectif des 39, proposant des idées. La réunion a été intense, une cinquantaine de personnes ont défilé dans notre petit appartement. L'ambiance était à l'émulation, les idées fusaient. J’ai rencontré Apolonia Beuil, artiste du collectif Pouchd. On a mis en place une première trame pour le programme des débats. On s’est décidé : ce serait un festival.
On a défini un groupe plus restreint pour l'élaboration précise du festival. Patricia Janody nous avait rejoints ; nous l'avions déjà rencontrée Mathieu et moi à des réunions du collectif des 39 et pour l’élaboration du 1er numéro des « Nouveaux cahiers pour la folie ». Au départ de ce mini-collectif, il y avait Boris Mandalka, Louis Neuville et Apolonia Breuil, Antoine Machto, Emilie Abed, Valentin Schaepelinck, Charlotte Hess, Mathieu Bellahsen, Patricia et moi...

Dès ce moment là, j’ai commencé à rencontrer les intervenants et artistes pressentis. Je me suis promenée à Paris et ailleurs, j'ai envoyé et je reçu une dizaine de mails et de coups de fil par jour, j'ai appris, discuté, découvert tout un monde. Tout cela n'a fait que s'amplifier jusqu'à aujourd'hui.

On s’est réunis une première fois en groupe plus restreint chez Emilie Abed le samedi 27 Novembre. Marine Pennaforte nous avait rejoints. On a commencé à sélectionner des œuvres, à se mettre d'accord sur un programme.
On a, dès ce moment, tenté de réfléchir sur ce qu'on faisait ensemble, sur ce qui nous liait et nous rassemblait dans cette aventure-là. Globalement, une nécessité de bousculer les processus normatifs, de permettre des rencontres, de faire une place à ce qui n'est pas réductible par le langage. Un désir de mettre en acte l'idée du collectif dans ce but. On s’est dit, justement, ce jour-là, qu'on était un collectif : le collectif des évadés du bocal.

Le samedi 11 décembre, 15 jours plus tard, c'était la deuxième réunion générale, ouverte à toutes les personnes intéressées. C'est là que nous avons trouvé le nom: "Les évadés du bocal".

Les rencontres continuaient pour moi, provoquant d'autres rencontres qui provoquaient elles-mêmes d'autres rencontres... Le programme se mettait en place au fur et à mesure.

Le 15 Janvier, date importante, eut lieu la deuxième réunion chez Emilie Abed en groupe restreint, c’est-à-dire une réunion du tout nouveau « collectif des edb ». Patrick Franquet nous avait rejoints. Pour moi, c'est à cette date que le collectif émergea vraiment.
A partir de ce moment, les choses se sont faites, de façon tangible, à plusieurs: Louis et Apolonia ont commencé à réinventer le lieu-dit pour un mois, Boris a créé le site magnifiquement transformé par Apolonia et Louis par la suite, constamment enrichi par les contributions des uns et des autres, Marine, Patricia et Charlotte ont mis en place la librairie, Patrick a inventé un prologue théâtral pour le vernissage, Charlotte et Valentin nous ont offert leurs trouvailles pour les titres des débats...
Les aléas de l'organisation, les idées géniales d'Apolonia et Louis pour l'exposition, la participation de Rémi Hubert pour le graphisme, Rémi qui est l’auteur de notre invitation (objet plié selon l’idée d’Apolonia et Louis, donné en main propre), l’arrivée du musicien Primo et sa « skytare », les discussions sur le texte d'invitation, sur la nécessité d'un manifeste, d'un lieu d'expression pour la pluralité des voix, sur le programme, nous ont fondé toujours plus en collectif.

Et toujours, toujours, nous avons rencontré la générosité de l'accueil de Hossein Sadeghi et de Lola, programmatrice au lieu-dit, envers nos idées. Ils sont partie intégrante de la mise en place de ce festival. Depuis quatre jours, ils nous accompagnent dans la transformation complète du Lieu-dit selon les idées d’Apolonia et Louis, revenus de deux journées à la clinique de La borde avec toujours plus d’idées et d’œuvres à exposer.

Pour tout cela, pour tout ce désir, pour la qualité des rencontres déjà permises par ce collectif naissant, c'est une aventure qui vaut la peine d'être vécue.

Cela commence demain à 18h00.

Loriane Brunessaux, le 06/02/2011

 

Festival des évadés du bocal, par Louis Neuville

Nous créons ce festival pour voir s'il est possible de construire, d'élaborer un vieux rêve enfoui dans nos consciences à tous. Rêve de liens sans frontières, de quelque chose qui pousse un peu plus haut le désir de vivre autrement que dans la crainte du temps à venir. Sortir de cette fausse désinvolture parisienne de celui qui ne marche plus dans le fantasme du collectif, qui finit par nous confiner définitivement dans la culpabilité de vivre sur le dos de la misère des autres en ayant comme seule raison à nos courses quotidiennes dans la folie du monde, d'avoir le sentiment de ne rien pouvoir faire. Bien rassasié des modes successives des trente dernières années et de leurs récidives ponctuelles, de leurs redites industrielles, que ce soit du culte bio ou des expositions d'art contemporains dans des cubes blancs, de leurs normes et de leur clientèles sans rien d'autre qu'un regard. Qu'on ne nous prennent pas pour des naïfs. Nous aimons rire et nous ne rêvons pas de    renverser le monde du capital. Nous ne pensons pas à la révolution. Nous avons d'autres littératures dans nos poches. Nous envisageons le monde comme une grande aporie, où le pouvoir de chacun tient en sa faculté de maintenir en tension les désirs équivoques de chacun. Ce que nous voyons qui s'étale ainsi devant nous, c'est un gigantesque réseau d'institutions. Le système des institutions est très bien élaboré si on le regarde de la bonne façon. Il forme des liens à travers le monde entre tous les individus et tous les savoir-faire. La seule chose qui le condamne et le sclérose, c'est la rigidité de la hiérarchie qui s'instaure en son sein lorsque les hommes qui le façonnent oublient d'en prendre soin et recommencent à se compartimenter les uns aux dessus des autres dans une organisation qui sacrifie la confiance à l'ordre, la satisfaction aux quotas. Ce réseau est ainsi qu'un corps soumis aux aléas du temps. C'est un corps soumis aux allers-retours des émotions, de la joie à la tristesse, et des plus irrémédiables, de la maladie à la guérison. Ce que nous voulons faire du temps que nous avons. Car c'est bien là la question. Ce que nous voulons c'est utiliser ce temps pour soigner les institutions du manque de confiance qui s'est instauré entre les hommes. Nous voulons par le biais de cette chose qu'on appelle art, fabriquer des événements qui nourrissent les institutions de convivialité et de joie d'être réunis sans contraintes d'idéologie. Nous voulons fabriquer de la prise de  conscience et injecter dans ce réseau des idées qui décloisonnent les rapports de hiérarchie à l'intérieur des institutions. De la désincarcération de fonction. Fabriquer de la transversalité en utilisant le seul outil dont nous disposons pour cela. Un outil avec toutes ses déclinaisons. Le langage.

Louis Neuville, le 19/01/2011.

 

 

Festival des évadés du bocal, par Charlotte Hess.

Il s'agit bien de produire, d'inventer du commun, de l'instituant, des constellations de pratiques et de pensées pour une clinique qui soit l'affaire de tous. Souvent on a l'impression que les slogans de nos manifestations sont toujours les mêmes, ritournelles, où l'invention semble barrée. C'est que nous n'avons plus de mots pour dire notre indignation ! Pourtant, notre désir de sortir des théories mortifères qui nous disent qu'il n'y a plus rien à faire est immense et non négociable. Eux / Nous : cette division se développe un peu partout, sous l'impulsion d'un racisme d'Etat qui tape sur toutes les têtes qui dépassent. Or nous savons très bien que nous ne sommes pas seuls  et que chacun de nous, est plusieurs. Et oui ! Il y a de plus en plus d'étranger dans le monde ! Redécouvrons notre transversalité, notre part inexplorée, cette part d'ombre qu'on voudrait ficher, éliminer.

Il y a toujours de l'incomptable qui résiste au code barre, à la carte d'identité, au numéro assedics, ou au dossier psychiatrique. Osons une marche particulière qui nous conduise à percer les murs, décloisonner, et forcer les portes des institutions malades. Dégainons notre analyse institutionnelle un peu partout pour faire jaillir les germes de l'autrement possible.

Charlotte Hess, le 20/01/2011.

 

 

Festival des évadés du bocal, par Patricia janody

-Qu'est-ce donc qui rassemble des artistes, des philosophes, des psychologues, des psychiatres.... des fous à temps partiel, des fous à temps complet.... Rien de très précis: des idées, des jaillissements, des impulsions.... se prêtant à un lieu donné pour un temps donné.

-Et avec cela, que veulent-ils? Inventer quoi?  A partir de quoi? Allons donc, ils délirent.

-Voilà, c'est cela: délire à plusieurs. Epinglage diagnostique en bonne et due forme.

-Et qu'advient-il de plus, avec un délire? Rien, n'est-ce pas?

-Rien, c'est cela. C'est à dire rien qui n'ait vraiment de nom...

-Ah! Ah! Moins qu'un nom alors?

-Peut-être une lettre. Une petite lettre surnuméraire - vous savez,  une lettre muette qu'on aurait oublié de compter dans l'alphabet....

 

Patricia Janody, le 29/01/2011.

 

 

 

 

Etre humains ensemble, Une folie partagée. Par Loriane Brunessaux.

 

Comment vivre ensemble, à plusieurs ? Le travail de culture et de civilisation, luttant contre une nature parfois menaçante, tente de répondre à cette question ; l’enjeu serait de parvenir collectivement à produire les conditions d’une vie meilleure pour tous.

Dans cette tentative d’humaniser le monde par l’organisation sociale, qui prendra des formes multiples, parfois inhumaines, une constante est retrouvée : la constitution d’un système de normes, intégrant certains, excluant d’autres. La manière dont est traitée la question de la prise en compte de ces humains « hors la norme du moment » donne une indication précieuse sur la qualité du lien social, donc sur le degré de possibilité de vivre ensemble, dans une société donnée.

Il se trouve que ceux qu’on appelle les « fous », quel que soit le sens que recouvre ce terme, ont toujours fait partie de ce reste en marge qui questionne l’ensemble. En effet, s’il s’agit de créer un système de normes  avec logique et raison, que penser et que faire de ceux qui en semblent dépourvus ?

 

A l’heure actuelle, le néo-libéralisme nous est présenté comme le seul cadre de pensée apte  à organiser pour le mieux la vie des Hommes dans le monde entier.

Le néo-libéralisme, à la base du système économique dans lequel nous vivons, se différencie du libéralisme en ce qu’avec lui tout est marché, même les domaines qui en sont traditionnellement préservés.

 

Que deviennent le lien social et les possibilités du vivre-ensemble dans un tel monde ? En braquant les projecteurs sur le traitement de la folie, nous découvrons des éléments de réponse.

L’institution psychiatrique devient objet de marché : apparaît le nouveau management hospitalier. On créé des protocoles, on économise, on évalue de manière objective et rationnelle toute situation. Mais comment rationaliser ce qui échappe à la raison, comme la qualité d’une relation, d’une rencontre ? Pour échapper à ces questions, ne sont pris en compte et évalués que des « actes » et des normes de sécurité ou d’hygiène. L’enfermement, moins coûteux qu’un soin véritable, revient en force.

De son côté, l’individu auto-entrepreneur de lui-même trouve son programme de vie psychique dans  l’idéologie de la « Santé mentale ». La santé mentale positive est promue, agent proclamé de progrès économique, tandis que la « santé mentale négative » est sommée d’être réduite au minimum, dépistée, dénoncée, mise à l’écart, afin de limiter son coût économique au sein d’un monde-entreprise. Comme les moineaux en Chine au moment du « grand bond en avant », il s’agit d’éradiquer collectivement un fléau désigné et l’on nous prévient ainsi : « la santé mentale est l’affaire de tous ».

Sous couvert de nouveauté, à travers la « Santé mentale », ce sont donc d’anciens archétypes que nous voyons ressurgir sous d’autres noms, à travers l’invention de « nouvelles pathologies » ; ainsi l’enfant vagabond, le pervers constitutionnel, l’incorrigible, le vaurien, le bon-à-rien, le drogué, l’idiot, le monstre, l’adolescente vicieuse deviennent  l’enfant hyperactif doté d’un trouble oppositionnel avec provocation, l’adolescent délinquant ou atteint d’un trouble des conduites, le criminel récidiviste, le pédophile, le jeune des quartiers sensibles, l’addictif, le sans-domicile-fixe, l’anorexique, le schizophrène dangereux.

 

Ce qui est mis au centre de la réflexion sur le soin psychique n’est pas la prise en compte d’une part inconnue, intime, immaîtrisable, chez chacun de nous, mais l’illusion de la « transparence » : l’individu se doit de pouvoir expliquer objectivement chacun de ses faits et gestes, de faire preuve de bonne volonté pour s’adapter au système de normes qu’on lui propose.

 

Mais que devient alors, dans cette réalité, notre part de folie, de fantaisie et de création? Cette part à jamais mystérieuse et inexplicable dont nous avons besoin pour vivre ? Cette part inhérente à la vie en société puisque tenter de vivre ensemble est déjà peut-être une idée folle en soi ?

De manière collective, n’est-il pas possible de ménager une marge de manœuvre pour le maintien de l’hétérogène dans les sociétés humaines ?

Cela ne devrait-il pas constituer la finalité du travail de culture dans ses multiples acceptions ?

En partant de nombreuses expériences, collectives, artistiques, « culturelles », soignantes, qui attestent de la possibilité de ce vivre-ensemble hétérogène, nous tenterons d’interroger les conditions de possibilité de cette aventure : soyons fous, tentons simplement d’être humains ensemble !

 

Loriane Brunessaux

 

 

 

Les évadés du bocal, par Valentin Schaepelinck et Charlotte Hess

 

-Qu'est-ce donc qui rassemble des artistes, des philosophes, des psychologues, des psychiatres.... des fous à temps partiel, des fous à temps complet.... Rien de très précis: des idées, des jaillissements, des impulsions.... se prêtant à un lieu donné pour un temps donné.

-Et avec cela, que veulent-ils? Inventer quoi?  A partir de quoi? Allons donc, ils délirent.

-Voilà, c'est très exactement cela : délire à plusieurs. Epinglage diagnostique en bonne et due forme.

-Et qu'advient-il de plus, avec un délire? Rien, n'est-ce pas?

-Rien, c'est cela. C'est à dire rien qui n'ait vraiment de nom...

-Ah! Ah! Moins qu'un nom alors?

-Peut-être une lettre. Une petite lettre surnuméraire - vous savez,  une lettre muette qu'on aurait oublié de compter dans l'alphabet....

 

 L’institution psychiatrique ressemble aujourd’hui à un grand marché sur lequel on vend à la criée les derniers gadgets de la société de contrôle : enfermement, vidéos surveillance, produits pharmaceutiques dernier cri. Le soin devient une affaire de police. Un partage s’est imposé entre une “santé mentale” positive, agent proclamé d’adaptation sociale et économique, et une « santé mentale négative », réduite, dépistée, dénoncée et mise à l’écart au sein du monde-entreprise. Evaluation et contrôle devraient désormais gouverner l’horizon institutionnel de la folie.

 

Les étiquettes sont à la mode et de nouvelles catégories font irruption : l’enfant hyperactif, l’adolescent atteint d’un trouble des conduites, le criminel récidiviste, le pédophile, l’addictif, l’anorexique, le schizophrène dangereux… Mais, ne nous y trompons pas, ces mots ne sont pas que l’affaire des psychiatres ou de leurs patients. En effet, ils relèvent de cette même logique qui produit « le jeune des quartiers sensibles”, “le sans-domicile-fixe”, “le chômeur”, “le précaire”, “l’anarcho-autonome”, etc.... La fabrique néo-libérale fait le rêve du tout-explicite, d’un sujet transparent et entrepreneur de lui-même. Et tout un ensemble de lois y répond, instaurant cloisonnements et peur des uns envers les autres. Eux/nous : cette logique, qui consiste à désigner et bannir ceux qui dérangent, semble sans limite.

 

Et oui ! Il y a de plus en plus d'étrangers dans le monde ! Or nous savons très bien que nous ne sommes pas seuls et que chacun de nous est plusieurs. Les slogans de nos manifestations sont toujours plus ou moins les mêmes, ritournelles où l'invention semble barrée. Il nous faut donc réinventer des énoncés pour nos indignations, explorer nos transversalités, la part d’ombre dont nous avons besoin pour vivre et opposer à tous les fichages, notre part d’incomptable.

 

Nous voulons traverser les discours normatifs dans lesquels nous sommes pris pour penser l’accueil de l’autre, l’étrange, l’étranger, y compris celui qui nous habite. Porter le regard sur ce qu’on a oublié, délaissé, mis de côté, ces petits riens, ces fragments d’inconscient, ces résidus. La poésie lutte précisément, contre l’enfermement des mots dans la chose, elle ouvre un espace pour libérer la parole pour se raconter enfin d’autres histoires. S’extraire des codes et des normes. Art et folie ne sont pas en marge, ils produisent de la marge, de l’écart. Ce sont les irréductibles qui permettent de déjouer, de sortir du caractère aliénant de la norme et d’ouvrir le poétique du hors-norme. Ils produisent des rapprochements inédits qui nous permettent de relancer dans le mouvement des métamorphoses.

 

Aussi, nous voulons que ce festival connecte ensemble les hétérogènes de la clinique, de l’expérience politique, artistique, quotidienne et institutionnelle pour résister aux glacis des formes fixes et figées. C’est en partant de nombreuses expériences collectives, artistiques, soignantes, qui attestent aujourd’hui de la possibilité d’un vivre-ensemble hétérogène que nous tenterons d’interroger les conditions de possibilité de cette aventure pour produire, mettre au travail recomposer, ce qui nous lie et nous délie.

 

Nous voulons produire du commun, de l'instituant, des constellations de pratiques et de pensées. Oser une marche particulière qui nous conduise à percer les murs, décloisonner, et forcer les portes des institutions rendues malades par une pénurie programmée. Si la confiance est sacrifiée à l’ordre, nous voulons, par le biais de cette chose qu'on appelle art, fabriquer des événements qui provoquent l’hospitalité, déplace nos habitudes de penser. Nous désirons inventer des manières de parler et d’agir ensemble. Trouver des outils d’analyse institutionnelle et des modalités d’action collective pour faire jaillir les germes de l'autrement possible.

 

S’évader du bocal et voir ce qui se passe…

 

Collectif des évadés du bocal. Valentin Schaepelinck et Charlotte Hess, le 25/01/2011

 

 

 

Lettre à l’attention des auteurs des oeuvres exposées lors du festival des “Evadés du bocal ”.


 

 

          Cher tous,

 

 

Merci de votre participation à cet événement. Nous prendrons grand soin des œuvres que vous nous confierez.

 

Nous tenons aussi à vous apporter quelques précisions concernant l’exposition et l’événement culturel dans lequel les œuvres artistiques s’insèreront. 

 

Notre collectif s’appelle  « Les évadés du bocal ». Très récemment formé, il se constitue d’une quinzaine de bénévoles d’horizons différents : artistes, philosophes, psychologues, psychiatres, animateurs culturels… 

 

Nous sommes tous animés par le désir de questionner la place de ce qui est nommé « folie » dans la société et, à travers cette interrogation, et en passant par la culture, imaginer des modalités de lien social qui refusent l’exclusion et la stigmatisation.

 

Pour cela nous avons décidé d’organiser, hors des espaces traditionnels (hôpitaux psychiatriques et galeries d’art), un événement permettant de poser ces questions et d’élaborer ensemble, en relation avec un public non-spécialiste, des horizons possibles.

 

Nous essaierons de penser l’accrochage de vos œuvres en relation avec ce souci qui est le nôtre, notamment la formation d’un lien social qui produise une place pour tous.

 

Pour le moment, nous ne pouvons pas vous apporter davantage de précisions sur la quantité et l’emplacement des œuvres proposées.

 

D’autre part, en tant que jeune collectif bénévoles, nous ne disposons que d’un budget très mince pour l’organisation de cet événement et nous ne sommes malheureusement pas encore en mesure de vous rémunérer pour votre participation.  Aussi, nous tenons à vous remercier tout particulièrement de votre implication dans ce projet.

 

Nous espérons que cette organisation vous convienne, et de toute façon, nous restons, avant, pendant et après l’événement, présents pour vos questions et vos demandes particulières.

 

 

 

                               Le collectif des Evadés du Bocal.

 

 

 

 

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